Tous achetés, tous floués,
tous trahis en 1848 ! *


Le 23 avril 1998 (la date du 27 avril n’a pas pu être respectée pour cause de voyage d’affaires au Japon du 1er VRP de la République), Jacques Chirac ouvre officiellement les cérémonies du cent cinquantenaire de l’abolition de l’esclavage par la France. Que commémore-t-on ? " l’attitude ouverte et généreuse " que la France a toujours su préserver, son art de l’intégration qui a ainsi empêché le " développement d’une société à deux vitesses, fragilisée par les tensions et les antagonismes "… daprè yo ! … c’est ce qu’ils prétendent !

L’Etat français n’a jamais eu une très bonne mémoire ; quand il se souvient c’est avec d’énormes retards et d‘immenses lacunes. La France souffre d’une mémoire défaillante (allez demander aux goumiers marocains, aux tirailleurs sénégalais et autres soldats des colonies de l’empire comment ils ont été remerciés pour la libération du territoire français en 1944-1945 !) et sélective : cinquantenaire de la départementalisation de 1946 mais pas de cinquantenaire pour les 100 000 morts malgaches de la répression républicaine de 1947 !

Loin de l’autosatisfaction sur leur éternelle générosité envers les "peuples à développer" des élites républicaines, les descendants des Africains déportés et des esclaves américains tentent de revisiter leur histoire en dehors des mythes imposés par l’Ecole républicaine. Peu à peu, au fur et à mesure des recherches, une nouvelle vision de 1848 voit le jour. Elle est moins angélique et elle est donc bien plus riche d’enseignements… à chacun d’en tirer les siens.

Le 27 avril 1848, par le décret d’abolition de l’esclavage, le gouvernement provisoire de la IIème République française rachète, en indemnisant les "pauvres" planteurs, plus de 200 000 Nègres des "vieilles colonies" (Guadeloupe, Guyane, Martinique, Sénégal et Réunion). En 1848, la République, dans sa grande justice, indemnise les bourreaux pour les torts qu’ils ont fait subir pendant deux siècles à des millions d’êtres humains !

Ce même décret étend les " mesures propres à assurer la liberté […] aux autres établissements français de la côte occidentale de l’Afrique, à l’île Mayotte et dépendances, et en Algérie ". Tiens l’Algérie ! C’est justement en cette même année, que la conquête, en partie achevée par la reddition du 23 décembre 1847 d’Abd el-Kader, est parachevée par la départementalisation (la France médaille d’or de la colonisation par départementalisation cf. 1946 !). On le voit, en 1848, contrairement aux fastueux mensonges assénés par son arrière-petite-fille, la IIème République n’a pas renoué avec les principes des révolutionnaires de 1789. Elle a solennellement poursuivi, à grande vitesse, la voie ouverte par le consulat (qui rétablit l’esclavage en 1802), l’empire napoléonien et les deux monarchies : Reconstruire l’empire colonial perdu au 18ème siècle.

Pour détourner notre attention de cette profonde dimension colonialiste, l’histoire officielle de la République s’abrite derrière la figure mythique de l’abolitionniste Victor Schœlcher, dissimulant que le gouvernement provisoire n’a suivi les idées de Schœlcher que sur un seul point : le développement de la monoculture sucrière (canne à sucre) qui transforme les anciens esclaves en consommateur servile des produits de la métropole coloniale ; mettant ainsi en place les bases de l’échange inégal qui enchaîne encore aujourd’hui les "dom-tom" ("dom" pour dominés disent les Guadeloupéens, "tom" pour atomisés disent les Polynésiens).

Par contre les propositions, dont Schœlcher n’était qu’un des brillants porte-parole (l’évidence étant que les opposants les plus acharnés à l’esclavage ont été les esclaves et descendants d’esclaves eux-mêmes ; par leurs insurrections répétées, leurs écrits et témoignages, par leurs résistances quotidiennes ils ont constamment rejeté la déshumanisation qu’on voulait leur appliquait), qui tentaient de détruire le système esclavagiste dans ses fondations ont catégoriquement été rejetées par les "républicains" de 1848 (la gauche dont se réclame M. Jospin ?) :

C’est ainsi, que loin d’être transformées, les sociétés coloniales vont préserver le système esclavagiste bien après 1848, par des mesures législatives hypocrites qui contournent l’obstacle du décret d’abolition. Les prétendus affranchis vont subir la "nouvelle" organisation du travail ; restriction de la liberté de mouvement par l’interdiction de sortir de la commune indiquée par un livret de travail, travaux de force imposés à des prisonniers dont le nombre augmente sans cesse grâce à une législation anti-"indigents", reconstitution des bandes d’enfants, chargées des travaux divers et multiples sur les plantations, par l’intermédiaire des écoles religieuses qui ont le monopole de l’enseignement, etc. ; alors que dans le même temps une traite déguisée se remet immédiatement en place, "engagés" africains – les Kongo -, travailleurs de l’Inde – les Kouli -, mais également de Chine ou du Japon ; tous ces niveaux arrivants n’accédant que très tardivement (fin 19ème-début 20e)au statut de " citoyen des colonies ".

Alors la négraille ? Elle est pas belle la République ! A pa ti kouyannad léfrè, hon ?

 

Maximilien PALERME
Basta ! n° 4/98
 
* A l'occasion de la commémoration officielle, une affiche tricolore de 4 mètres sur 3 s'étale sur les murs de France. Signée du Secrétariat d'Etat à l'Outre-Mer [le ministère des Colonies] et du ministère de la culture et de le communication, l'affiche montre 9 jeunes gens [6 garçons et 3 filles] au look Benetton. Au-dessus, une phrase : "Tous nés en 1848"...