Du statut de diable qui était
le sien dans les années 60 - à sa mort en 1965 il était
un “démagogue irresponsable” pour le New York Times et un “désastre
pour le Mouvement des droits civiques” pour le Time -, Malcolm X a accédé
post-mortem au rang de “sainte icône” vénérée
par toute la mouvance hip-hop de toutes les mégalopoles de la planète.
Ceci en grande partie suite au film “Malcolm X” réalisé en
1992 par Spike Lee et financé grâce à l’élite
noire de l’entertainment (“Air” Jordan, “Magic” Johnson, Janet Jackson,
Oprah Winfreh ...). Hollywood accepta de distribuer le film mais coupa
au passage plus de deux heures du film de Spike Lee et vendit ainsi une
version de la Révolution tout autre que celle prônée
par le leader assassiné... mais conforme aux intérêts
de l’industrie cinématographique contrôlée par l’establishment
américain.
Au final du compte, on aboutit à
la situation paradoxale où l’homme le plus méfiant vis-à-vis
des institutions, du pouvoir et des partis de l’Amérique étasunienne
est cité, à tort et à travers, par un grand nombre
de conservateurs noirs ; et où l’idée séparatiste
(entre “Africains-américains” et “Caucasiens”), que Malcolm X abandonna,
est reprise par la bourgeoisie noire et les blancs “libéraux” pour
tenter de justifier l’abandon des programmes d’“affirmative action” (“discriminations
positives” qui fixent des quotas pour les minorités ethniques dans
les écoles, les universités ou la fonction publique), avec
comme message sous-jacent : « Pas besoin de l’argent des Blancs (Arrêtons
d’investir dans des programmes sociaux), nous, Africains-américains
pouvons nous organiser nous-mêmes (Démerdez-vous pour maintenir
un semblant d’ordre dans les ghettos tout seuls) ».
Là où Malcolm X expliquait
que « Ce n’est pas le problème de notre peuple... de vouloir
la séparation ou l’intégration. L’usage de ces mots cache
la réalité. Les 22 millions d’Afro-américains ne cherchent
ni la séparation ni l’intégration, mais la reconnaissance
et le respect auxquels a droit tout être humain », les
“libéraux”, noirs comme blancs, jouent successivement avec l’un
et l’autre mot pour surtout ne pas accorder le respect et la reconnaissance
de leur humanité à tous les laissés-pour-compte -
quelque soit l’étiquette ethnique que l’on cherche à leur
coller - fabriqués par l’AmériKKKa. Face à ces attitudes
révisionnistes, il convient de revenir sur le parcours et les idées
de “Brotha Malcolm”.
A écouter la légende,
c’est par une sorte de révélation mystique et par la prêche
de Black Muslims (membre de la Nation of Islam) lors des six années
qu’il passa en prison que Malcolm Little, petite frappe issue du Ghetto,
serait devenu Malcolm X le nationaliste noir.
C’est une des caractéristiques
de la société américaine que de placer la religion
au centre de la société : chaque billet de banque le proclame
(“In God we trust”), le président prête serment sur la Bible
lors de son investiture ainsi que toute personne appelée à
témoigner dans un procès, etc. Le mythe de Malcolm X n’échappe
pas au puritanisme des Etats-Unis, systématiquement on lui a retiré
toute influence plus politique : ce ne serait que grâce à
la Nation of Islam que Malcolm Little aurait cessé d’être
un drogué, Malcolm X aurait rompu avec les doctrines racistes (lorsqu’on
reconnaît que sa pensée sur ce sujet a évolué,
ce qui n’est pas toujours le cas) uniquement suite à son pèlerinage
à La Mecque.
Certes Malcolm X n’a jamais déclaré
être un athée et l’on sait que tout au long de sa vie la religion
a toujours eu une grande importance, au moins au niveau personnel et souvent
au niveau public ; mais si il était fils de prédicateur,
d’autres influences de courants politiques ont joué leur part dans
la formation de l’orateur et du penseur qu’était Malcolm X ; influences
qui dérangent, notamment aux Etats-Unis.
Justement, Revenons sur le père
et la situation familiale de Malcolm. Le pasteur baptiste Earl Little prêchait,
à l’instar de Marcus Garvey, le retour des Nègres en Afrique.
A ce titre, il était l’objet de toute “l’attention” du Ku Klux Klan.
Earl Little avait perdu un œil dans une bagarre, cinq de ses six frères
avaient été assassinés par des Blancs ; lorsque l’enfant
Malcolm avait 4 ans la maison familiale avait été incendiée
par le Klan et enfin il mourut - lorsque Malcolm avait 5 ans - victime
d’un assassinat, simple accident de la circulation d’après la police.
On peut penser que ces événements tragiques avaient déjà
dû passablement influé sur la manière de voir de Malcolm.
La légende “malcolmiesque”
a également tendance - et cela était patent dans la version
tronquée du film de Spike Lee - à faire l’impasse sur l’expérience
qu’avait Malcolm de sa propre condition sociale. Expérience de sa
condition sociale qui n’a pu que fortement peser sur la formation de ses
idées politiques. Ainsi Malcolm X a très bien connu les conditions
de vie du prolétariat noir : « pendant la deuxième
guerre, encore adolescent, il travailla dans les wagons restaurants ; alors,
un des secteurs où les travailleurs noirs étaient particulièrement
combatifs et organisés syndicalement. Plus tard, en prison, Malcolm
X a connu la dureté des ateliers ouvriers où, souvent, le
travail n’était même pas payé. Une fois libéré,
il sera ouvrier à la chaîne chez Ford à Détroit,
juste le temps de se sentir à nouveau renfermé... *».
On est en droit de penser que c’est de telles expériences personnelles
qui amenèrent Malcolm à élargir son champ de réflexion
et placer au centre de ses préoccupations tous ceux vivant «
au
bas du tas laissé pour compte de la société, dans
des conditions de rejetés ».
Une des influences les plus considérables
- et également une des plus occultée - parmi celles qui ont
contribué à former le discours politique de Malcolm, est
celle qu’il a reçue au cours de ses voyages à travers le
monde. Les visites de Malcolm dans différents pays du Proche-Orient
et de l’Afrique sont une donné fondamentale pour comprendre son
parcours et les idées qu’il défendait avant d’être
assassiné.
Tout d’abord en sortant de l’étouffement
du régime ségrégationniste sévissant aux Etats-Unis,
et - reconnaissons là le rôle joué par l’aspect religieux
- en effectuant le pèlerinage de La Mecque ; Malcolm X va pouvoir
s’extirper de la vision raciste que son environnement lui avait inculquée
par la force : « Je crois qu’il faut reconnaître tout être
humain, sans chercher à savoir s’il est blanc, noir, basané
ou rouge ; lorsqu’on envisage l’humanité comme une seule famille,
il ne peut-être question d’intégration ni de mariage inter-racial
: c’est tout simplement un être humain qui en épouse un autre
et qui vit avec lui ». Il va ainsi réfléchir à
des formes de lutte transcendant les barrières raciales : «
L’erreur
commise dans la lute des opprimés contre leur oppresseur, c’est
la division en un trop grand nombre de factions. [...] lorsque viendra
le jour où les blancs en auront vraiment assez [...]
lorsqu’ils
apprendront à établir pour de bon une communication efficace
avec ceux qui en ont assez dans les quartiers périphériques
[les noirs], et qu’il y aura un peu de coordination dans l’action, les
choses changeront un peu. Les choses changeront pour les noirs et pour
les blancs, et vous serez engagés tout entiers. ». Réfléchir
à des formes de luttes transcendant les frontières étatiques
pour réunir les peuples : « La seule façon dont
nous nous libérerons passe par notre identification avec les peuples
opprimés du tiers monde. Nous sommes des frères de sang des
peuples du Brésil, du Vénézuela, d’Haïti ...
de Cuba, oui, de Cuba aussi ». Ainsi, prenant l’exact contre-pied
du principe de base du Mouvement des droits civiques, qui prônait
la négociation de la liberté par la non-violence parce que
les Noirs sont une minorité aux Etats-Unis ; Malcolm X va s’appuyer
sur le contexte international pour montrer que des attitudes de lutte différentes
peuvent être mises en place : « [...] quand les 22 millions
d’Américains noirs s’apercevront que nous avons le même problème
que les opprimés du Vietnam du Sud, du Congo et de l’Amérique
latine - étant donné que les opprimés constituent
la majorité et non la minorité sur cette terre, nous serons
à même d’envisager notre problème en majorité
capable de revendiquer et non plus en minorité réduite à
la mendicité ». Pour Malcolm, partisan de l’autodéfense
(qui est un droit constitutionnel aux Etats-Unis), il est de la première
importance que les noirs se décomplexent afin de commencer à
se protéger et se défendre des violences qu’on leur fait
subir : « A mon avis, ce que les noirs des Etats-Unis ont fait
de mieux pour la cause du progrès véritable au cours des
luttes qu’ils ont menées en 1964, c’est de parvenir à lier
notre problème au problème africain, à faire de notre
problème un problème international.. Vous connaissez les
répercussions internationales qu’a l’intervention de puissances
impérialistes ou étrangères dans un secteur de l’Afrique
: des ambassades sautent, sont incendiées et saccagées ;
aujourd’hui, lorsqu’il arrivera quelque chose aux noirs du Mississippi,
vous constaterez les mêmes répercussions dans le monde entier.
Je tenais à souligner ce point parce qu’il faut que vous sachiez
que vous n’êtes pas isolés dans le Mississippi. Tant que vous
vous croyez isolés, vous vous conduisez en minorité, comme
si l’adversaire était supérieur en nombre, et ce n’est pas
ainsi que vous parviendrez à gagner une bataille. Il faut que vous
sachiez que vous avez pour vous une puissance égale à celle
qui soutient le Ku Klux Klan. Lorsque vous saurez cela, vous parlerez au
Klan dans la langue même qu’il utilise pour s’adresser à vous...
».
Malcolm X n’a pas été
qu’un prédicateur cherchant à rendre leur fierté aux
Américains noirs - cliché généralement véhiculé
pour discréditer ou au moins amoindrir la portée de la pensée
et de l’engagement de Malcolm X. Il a été une “voix pour
les sans-voix“ des Etats-Unis et de l’humanité toute entière.
Ce qui permet d’expliquer - à l’encontre de la thèse officielle
qui cherche à vendre la version d’un règlement de comptes
entre deux factions rivales d’extrémistes musulmans afro-américains
- pourquoi le pouvoir a organisé et soigneusement planifié
l’assassinat du “Nègre le plus en colère de toute l’Amérique”.