El Hadj Malik El Shabazz
Malcolm X
second part :
why did they shoot malcolm ?
"Le temps des martyrs est maintenant venu, et si je suis l’un d’eux, ce sera pour la cause de la fraternité. C’est la seule chose capable de sauver ce pays." Malcolm X, 19 février 1965
 

Le 21 février 1965, à la salle Audubon dans le haut du quartier de Harlem, devant une centaine d’auditeurs, Malcolm X recevait treize chevrotines et plusieurs balles à bout portant. Le 14 avril 1966, Norman 3 X Butler et Thomas 15 X Johnson - membres des Black Muslims - ainsi que Talmadge Hayer étaient condamnés à la prison à vie pour ce meurtre.
Pour le Michigan Chronicle, Malcolm X n’avait fait que « moissonné ce qu’il avait semé par sa philosophie » ; ce journal - un des journaux de la communauté afro-américaine - souscrivait donc à la thèse que l’on voulait servir à l’opinion publique américaine : “Malcolm X, leader extrémiste et violent, avait été victime de la guerre entre factions rivales de l’islamisme extrémiste noir”. Ainsi le “bon” américain devait en arriver à la conclusion que “tous ces nègres n’étaient bons qu’à se battre entre eux comme des chiens” !

Si la Nation of Islam avait quelque intérêt à la disparition de Malcolm X, c’était non pas parce qu’il la concurrençait mais bien parce qu’abandonnant définitivement le domaine du charlatanisme d’Elijah Muhammad, Malcolm se plaçait désormais sur le terrain politique pour la critiquer : « [La Nation of Islam] ne prend aucune autre part  à la lutte des Noirs de ce pays pour changer leurs conditions si ce n’est celle d’offrir une force morale pour amener nos gens à cesser de se soûler ou de se droguer. C’est insuffisant, car une fois sobre, vous restez pauvre ».
Malcolm comptait - avec cette intransigeante honnêteté qui le caractérisait - attaquer et dénoncer cette secte qui ne faisait qu’entraver la libération des siens : « Tous ces militants déterminés ont été paralysés par une organisation qui ne prend aucune part active dans aucun combat. Une organisation qui n’est une menace pour personne d’autre qu’elle-même ».
Si donc, face aux attaques de Malcolm, Elijah se devait de défendre son “fonds de commerce”, d’autres, plus puissants, avaient intérêt à ce que les Noirs demeurent au simple niveau des incantations sectaires prônées par la Nation of Islam.

Là est la cause de la mort de Malcolm X : sa dénonciation de l’organisation d’Elijah n’était qu’un premier pas sur le chemin d’une nouvelle manière de lutter plus “politique” en conformité avec sa nouvelle vison des choses : « Nous vivons une ère révolutionnaire, et la rébellion des noirs américains est partie intégrante de la rébellion contre l’oppression et le colonialisme qui caractérise cette ère. […] On aurait tort de définir la révolte des noirs comme un simple conflit racial entre noirs et blancs, ou comme un problème purement américain. Au contraire, nous assistons aujourd’hui à la rébellion générale des opprimés contre leurs oppresseurs, des exploités contre les exploiteurs. »

A partir de 1964, Malcolm voulut surtout dévoiler l’hypocrisie du gouvernement et de la société étasunienne, et désigner tous ceux qui étaient compromis, de près ou de loin, avec ce système raciste. Ainsi, de plus en plus, Malcolm va s’employer à dénoncer toutes les hypocrisies, toutes les compromissions.

Par ce type de propos, Malcolm voulait démontrer que les Etats-Unis ne sont pas divisibles en un “Sud raciste” et un “Nord vigilant défenseur des droits des Noirs”, mais une seule et même société, un seul et même Etat anciennement esclavagiste et toujours partisan de la ségrégation raciale. Il s’évertuait à faire cette démonstration afin que les militants noirs, ayant pris conscience des réels tenants et aboutissants, adoptent des méthodes plus appropriées : « A mon avis, si les étudiants de ce pays oubliaient l’analyse dont on leur a fait cadeau, s’ils s’unissaient pour examiner eux-mêmes le problème du racisme, à l’écart des politiciens et sans intervention des fondations, […] ils verraient que jamais ils ne parviendront à résoudre le problème du racisme aux Etats-Unis tant qu’ils s’en remettront au gouvernement pour le résoudre. Le gouvernement fédéral est tout aussi raciste que le gouvernement du Mississippi, et sa responsabilité est plus grande dans le maintien du système raciste. A l’échelon fédéral, ils sont seulement plus astucieux, plus habiles. »
Malcolm, qui « se sert de sa propre tête pour penser », refuse de s’engager dans la politique de façon irréfléchie et émotionnelle. Hors de question de se positionner d’après l’échiquier politique américain, et de choisir comme “allié naturel et automatique” un des deux camps (démocrate ou républicain) pour que ceux-ci, comme ils en ont l’habitude, détournent l’énergie politique des Noirs vers des problèmes secondaires pour la communauté afro-américaine.
Là est le danger que représente Malcolm en cette année 1965 : « le Nègre le plus en colère d’Amérique » a compris comment utiliser cette colère pour faire avancer la cause des siens. Malcolm a fini d’être en colère pour être en colère. Malcolm est maintenant politiquement en colère. Sa saine colère se communiquant aux autres Nègres pour enfin agir sur le terrain politique : « Chaque fois que les nôtres seront prêts à faire tout ce qu’il faut pour avoir gain de cause, ils auront gain de cause. Jamais ils n’obtiendront rien tant qu’ils se conformeront aux règles fixées par le pouvoir qui règne dans les quartiers du centre. Il faut de l’action pour susciter l’action, voilà ce que les nôtres doivent comprendre ».
Plus que les droits civiques, Malcolm se bat pour les droits politiques, pour que les Noirs s’expriment politiquement : « C’est le but de l’O.A.A.U. [Organisation de l’Unité Afro-Americaine] que de militer parmi les Noirs politiquement inactifs. Nous avons l’intention de les transformer, de les rendre actifs, afin qu’il y ait un peu de mouvement. […] Ce que nous entendons faire, c’est essayer de mettre leur énergie en état de servir, en leur faisant comprendre ce qu’est la politique. »
En plus de ces harangues au mouvement, les auto-prophéties politiques de Malcolm sonnaient comme des menaces aux oreilles des membres du système américain : « Je pense qu’en 1965, que cela vous plaise, me plaise, leur plaise, ou non, vous constaterez que toute une génération de noirs a mûri et comprend qu’il n’y a pas de raison de lui demander de se montrer pacifique si tout le monde ne fait pas de même. […] De toute façon, à partir de 1965, nous serons engagés dans la politique à tous les niveaux ».
Ce sont ces diverses prévisions, prédictions et projections émises pour 1965 par Malcolm qui amenèrent quelques nombreuses personnes et institutions à ne pas lui laisser dépasser le mois de février de cette année-là.

Assassiner Malcolm c’était donc faire taire cette voix qui dénonçait le mensonge, et qui à ce mensonge voulait substituer un mode de relation basé sur la vérité (relation d’homme à homme et non de maître à esclave ou de race supérieure à race inférieure). Tuer Malcolm c’était tuer le changement (la révolution pour ceux qui n’ont pas peur des mots).
La Nation of Islam a pu commanditer le meurtre de Malcolm mais elle ne l’a pas fait sans la bénédiction et l’assistance des milieux gouvernementaux. Malcolm, tout comme les Black Muslims, était constamment sous surveillance policière (F.B.I. et C.I.A.). Comme pour l’assassinat du pasteur Martin Luther King en 1968, seuls quelques naïfs peuvent croire à la thèse des tueurs fanatiques. L’amériKKKa l’a suffisamment démontré ; que ce soit par l’élimination physique des Black Panthers (programme fédéral COINTELPRO) ou par l’incarcération - direction le couloir de la mort - d’un Léonard Peltier (American Indian Movment) ou d’un Mumia Abu-Jamal* ; elle sait éliminer, directement ou par l’intermédiaire d’illuminés imbéciles, ceux qui la dérangent.


 
banbiyo HATCHI
Madjoumbé n° 14
janvier-février 1998


*Mumia Abu-Jamal, En direct du couloir de la mort, Editions La Découverte, Paris, 1996.