Pawòl
  LE BESTIAIRE DE DANIEL BOUKMAN
« L'imaginaire créole est peuplé de bêtes qui servent à exprimer à peu près toutes les formes de la sensibilité commune. Le rapport à ces bêtes, fantasmé comme pour les animaux d'Afrique, lion, tigre, volontiers analytique et sentencieux quand il s'agit des animaux destinés au travail de chaque jour, mulet, boeuf, zébu, ou énigmatique et fabuleux pour les bêtes inappréciables qui peuplent l'espace sans l'encombrer, bête-à-feu, cayali, anoli (zandoli mandé mayé, mabouya di non), est toujours marqué par la vitesse de la notation, le refus de s'attarder à décrire, la volée saisissante d'une symbolique dont nous apprécions qu'elle ne quitte jamais l'appréciation la plus concrète, et la plus vive, des gens et des bêtes.
Les poèmes que voici ont deviné de tels rapports. Organisés en deux colonnes qui se renvoient l'une l'autre, ils nous permettent de jouer sur leurs tangences, de la liste animalière à la leçon que la poétique populaire en tire. Une telle lecture, en biseau, nous garde d'une réthorique trop abondante. En ce sens, le bestiaire de Boukmàn pousse au-delà de son apparente simplicité. Il fait entrer nos bêtes dans notre texte, il consacre un état aujourd'hui peut-être dépassé, repoussé par l'asphalte et le ciment. Boukman ravive nos mémoires assoupies : c'est là une des fonctions éclairantes du poète. » Edouard Glissant