LA SITUATION DES TRAVAILLEURS MIGRANTS HAITIENS
ET LEUR FAMILLE
EN RÉPUBLIQUE DOMINICAINE
 

Extrait du chapitre 9 du rapport de la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) organe de l’Organisation des États américains (OÉA), publié le 7 octobre 1999. Adresse Internet : http://www.cidh.oas.org.
Traduction française non officielle, réalisée par le Comité québécois pour la reconnaissance des droits des travailleurs haïtiens en République dominicaine. Novembre 1999.
 
 

A) INTRODUCTION
B) EXPULSIONS MASSIVES DES HAITIENS ET DES DOMINICO-HAITIENS
C) CONDITIONS DE TRAVAIL ET DE VIE DANS LES BATEYES
D) STATUT D’ILLÉGALITÉ PERMANENTE
E) CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
 
 

A) INTRODUCTION

a) Antécédents
313. Chaque année, des milliers d’Haïtiens embauchés par la Conseil d’État du sucre « Consejo Estatal del Azúcar (CEA) » participent à la coupe de la canne à sucre en République dominicaine. Historiquement, les conditions de vie des braceros et les mauvais traitements qu’ils subissent ont fait l’objet de nombreuses dénonciations. Ainsi le Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) et la CIDH les ont incluses dans leur rapport d’évaluation du suivi en regard des normes et des conventions internationales.
314. La préoccupation des instances internationales a transcendé le plan exclusivement lié au travail ; les organisations non gouvernementales des droits humains ont aussi publié des rapports dénonçant la participation des forces policières et militaires dans le recrutement des braceros et l’existence de pratiques abusives par les autorités du Conseil d’État du sucre, durant et après les périodes des récoltes (zafras).
315. Les racines historiques de cette situation se trouvent dans l’avantage comparatif pour l’industrie sucrière dominicaine que représente la disponibilité d’une vaste source de main-d’œuvre à bon marché par son effet d’accumulation, accompagnée d’une diminution du niveau des salaires. L’industrie sucrière dominicaine a connu une grande expansion après la Seconde guerre mondiale et s’est trouvée une source, à proximité, en embauchant des Haïtiens pour la coupe de la canne à sucre durant les récoltes.
316. La main-d’œuvre haïtienne était peu chère parce que liée aux conditions économiques et à celles du marché de l’époque et liée aussi aux abus engendrés, faute d’alternatives pour les Haïtiens, même au regard de conditions de vie des plus misérables.
317. Historiquement, on a dénoncé le fait que les travailleurs traversant la frontière pour récolter la canne en R.D. aient été victimes d’assassinats, de mauvais traitements, d’expulsions massives, d’exploitation, de conditions de vie déplorables et de non reconnaissance de leurs droits en tant que travailleurs.
318. La problématique migratoire dominicaine n’a pas échappé non plus à la situation politique qui s’est développée entre les deux Républiques affectant les coupeurs de canne et s’étendant à d’autres secteurs agricoles tels que les cultures du café, du riz et du cacao. Qui plus est, bien de ces travailleurs ont fait une incursion sur le marché urbain, soit dans le bâtiment, soit dans les services domestiques. La participation des Haïtiens à ces secteurs de l’économie dominicaine s’accroît de plus en plus ces dernières années.

b) Visite terrain de la CIDH en 1991
319. Le 11 juin 1991, « Americas Watch » dénonçait devant la Chambre de représentants des États-Unis, les violations des droits humains dont les braceros étaient l’objet, signalant en particulier ce qu’ils décrivaient comme étant le régime de travaux forcés qui était le lot des enfants haïtiens dans les plantations du CEA.
320. Quelques jours après qu’on ait renouvelé les dénonciations de mauvais traitements, et que celles-ci aient été relayées par une chaîne de télévision américaine, dont les images montraient les conditions de vie déplorables dans les bateyes, le président Balaguer émit le Décret 233, le 13 juin 1991, en vertu duquel on procédait au rapatriement des Haïtiens sans documents d’identité, de ceux âgés de moins de seize ans et de ceux âgés de plus de soixante ans se trouvant en sol dominicain.
321. A partir du 18 juin 1991, le gouvernement dominicain procédait à des expulsions massives de milliers d’Haïtiens, ce qui donna lieu à d’autres dénonciations de ces pratiques et violations de la Convention américaine sur les droits humains.
322. Suite aux dénonciations sur les expulsions massives d’Haïtiens ou de personnes considérées comme telles même si elles étaient nées en territoire dominicain, la CIDH sollicita, le 24 juin 1991, l’autorisation du gouvernement dominicain d’effectuer une visite dans le but d’observer les déportations.
323. A la suite de cette visite qui avait eu lieu du 12 au 14 août, la CIDH publia un rapport inclus à son Rapport annuel dans lequel figurent les recommandations suivantes :

1. Prendre les mesures en vue de régulariser le statut des Haïtiens qui n’avaient pu bénéficier des provisions du Décret du 15 octobre 1990.
2. Déroger aux mesures législatives ou administratives qui tendent à porter atteinte aux droits des étrangers ou des Dominicains d’origine haïtienne et suspendre de manière définitive les expulsions massives des ressortissants haïtiens.
3. Fournir les moyens nécessaires aux ressortissants haïtiens qui demandent de rentrer volontairement en Haïti en leur offrant toutes les garanties et la considération à laquelle ils étaient en droit de s’attendre, sans léser leurs droits fondamentaux, et en leur octroyant les prestations nécessaires.
4. Indemniser les ressortissants haïtiens qui ont été expulsés de la R.D. sans qu’on leur ait octroyé les prestations de travail correspondantes, tel que stipulé par le Décret 233-91.
5. Accorder les moyens de permettre le retour au pays aux personnes qui allèguent être Dominicaines afin qu’elles puissent exercer leur droit de prouver leur nationalité dominicaine.
324. Suite à la visite, le gouvernement dominicain fait part à la CIDH de sa décision de surseoir aux expulsions à partir du 30 septembre 1991.

B) EXPULSIONS MASSIVES DES HAITIENS ET DES DOMINICO-HAITIENS

325. Durant la visite sur les lieux en juin 1991, la CIDH a été informée des dénonciations d’expulsions massives d’Haïtiens, y compris des Dominicains d’origine haïtienne durant les trois (3) premiers mois de l’année 1991. Des groupes des droits humains qui travaillaient sur le sujet se sont réunis et ont signalé à la CIDH que durant ces mois, le gouvernement dominicain avait déporté près de 25 000 Haïtiens.
326. Par ailleurs, ces mêmes groupes ont informé la CIDH que les déportations continuaient, quoiqu’en nombre restreint. Dans la plupart des cas, le gouvernement dominicain avait nié aux déportés l’opportunité de fournir la preuve de résidence légale en R.D. De plus, on ne leur a pas donné l’occasion de prouver la durée de leur séjour dans ce pays, ni de faire connaître leur situation d’emploi, ni leurs liens familiaux.
327. Les dénonciations présentées à la CIDH signalent la façon violente et précipitée avec laquelle on a procédé aux déportations, sans permettre aux déportés d’emporter leurs biens ni de toucher leur salaire. Certaines entreprises et particulièrement les raffineries sucrières ont profité de l’occasion pour priver les travailleurs de leur salaire.
328. Les déportés ont été détenus dans des établissements où on ne les a pas ou peu nourris et certains ont été battus par les autorités. On ne leur a pas permis d’informer leur famille de leur expulsion. A maintes reprises, la Commission a été informée que les enfants étaient enlevés de force en l’absence de leurs parents travaillant aux champs. Il en a été de même des femmes arrachées à leur foyer en l’absence du mari. Dans certains cas, les expulsions massives ont entraîné la séparation forcée des familles.
329. Durant les élections présidentielles de 1996, la CIDH a reçu des dénonciations rapportant que les autorités dominicaines avaient effectué des rafles, détruit les carnets de travail, les papiers d’identité des travailleurs et les avaient renvoyés contre leur gré en Haïti. Dans de nombreux cas rapportés, ces déportés étaient nés en R.D. ou certains avaient résidé au pays durant plusieurs années, de sorte que la nationalité leur revenait de droit. Plus tard, d’autres dénonciations à la CIDH relataient les déportations effectuées dans les communautés périphériques au district national telles qu’à Palave, Palmarejo, Guarícano, Guanuma, Dusquesa et dans les bateyes des Raffineries sucrières Ozama, San Luis, Matamamón, Boca Chica et Muñoz de Puerto Plata durant les mois de juillet et août 1998.
330. En dépit de l’affirmation du gouvernement dominicain assurant avoir respecté l’Accord sur les procédures d’expulsion signé par la République dominicaine et la République d’Haïti le 2 février 1997, des ONGs telles que le Mouvement des femmes Dominicano-haïtiennes (MUDHA), la Coalition nationale pour les droits des Haïtiens et la Clinique des droits humains de l’Université de la Californie ont informé que les autorités dominicaines n’avaient pas respecté les procédures et qu’elles ont souvent omis de d’aviser, en bonne et due forme, les autorités haïtiennes des déportations. La liste des personnes expulsées fournie par le gouvernement dominicain est souvent inexacte : le nombre des déportés en autobus est supérieur à celui indiqué sur la liste officielle signalant les noms, dates et destination. En plusieurs occasions, les autorités dominicaines n’ont même pas avisé les autorités haïtiennes des déportations effectuées.
331. La CIDH a été informée des cas de THOMAS SAINT-VIL et d’ISRAEL JOSET lesquels ont été expulsés de la République dominicaine en 1997 et 1998 et qui se résument comme suit (à noter qu’il ne s’agissait pas de situations exceptionnelles) :

332. La Commission se doit de signaler que le Décret 233, qui a permis l’expulsion de 35 000 travailleurs haïtiens en 1991, est toujours en vigueur et comme l’ont signalé les organisations des droits humains, il demeure une menace latente pour les Haïtiens. Le gouvernement a justifié les expulsions massives par le non respect des lois de la part des travailleurs haïtiens. Pourtant le Décret 407, promulgué le 15 octobre 1990, dont l’objectif est de régulariser le statut des travailleurs haïtiens, n’a pas été adéquatement appliqué. Peu d’Haïtiens ont vu leur situation s’améliorer. En pratique, les autorités enregistrent les Haïtiens seulement comme travailleurs, mais ne régularisent pas leur situation de migrants.
333. La CIDH doit rappeler que l’Article 22, alinéa 5 de la Convention, établit que « personne ne peut être expulsé du territoire de l’État dans lequel il est né », tandis que l’Article 22, alinéa 9 défend l’expulsion massive des étrangers. L’alinéa 6 ne permet pas de déporter des résidants sans un procès légal qui, dans ce cas-ci, permet à tout individu de prouver qu’il n’est pas en infraction face à la Loi 95 de la Migration.
334. Les lois dominicaines prévoient que la personne qui sera déportée doit avoir l’opportunité de se faire entendre et de présenter des arguments en sa faveur. La Loi de la Migration et son règlement donnent une procédure à suivre dans les déportations ou il est établi qu’aucun étranger ne peut être déporté sans avoir été informé des accusations spécifiques justifiant cette mesure et sans qu’on ne lui ait donné l’opportunité de réfuter les accusations (art. 13, 11 e. de la Loi 95, modification de la Loi 1559 de 1947).

C) CONDITIONS DE TRAVAIL ET DE VIE DANS LES BATEYES

335. Les conditions de vie et de travail dans les bateyes sont extrêmement difficiles. Selon la mission d’assistance technique en République dominicaine du Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU, « il est courant que les coupeurs de canne souffrent d’abus de la part des autorités de la migration et des autorités militaires. De plus, les enfants et les femmes n’ont pas d’existence légale ».

a) Conditions de travail
336. Pendant leur visite, les groupes des droits humains ont indiqué à la Commission que la situation des braceros haïtiens s’était légèrement améliorée légèrement sous le Gouvernement actuel ; par la suite, ils ont signalé que depuis 1998, les travailleurs haïtiens et dominicains d’origine haïtienne, leurs femmes et leurs enfants étaient toujours victimes de discrimination raciale et de violation des droits humains. Les travailleurs haïtiens des plantations de canne à sucre continuent à faire face à des restrictions de leur liberté de mouvement. Cela inclut la présence de gardes armés dans les champs de canne qui veillent à ce que les braceros ne quittent pas les plantations .
337. Selon ce qui a été dit à la Commission, le CEA tient un registre des Haïtiens embauchés, et à quelques occasions on leur donne un document d’identification valable à l’intérieur du batey et pour la période de la récolte (zafra). Mais cela ne se fait pas systématiquement et à la fin de la zafra, les travailleurs demeurent en qualité d’illégaux et sans possibilité de se déplacer vers d’autres lieux.
338. Dans ses observations sur le projet de rapport, le gouvernement dominicain a informé qu’en 1998, des carnets ont été remis à 15 485 travailleurs haïtiens pour œuvrer dans l’industrie du sucre et en 1999, 12 390 en ont reçus.
339. En regard des contrats d’embauche, les autorités dominicaines affirment que ceux-ci étaient rédigés en espagnol et en créole pour une meilleure compréhension ; mais rien ne garantit que les travailleurs soient d’accord avec les termes, la grande majorité d’entre eux étant analphabète.
340. Le Mouvement des femmes dominico-haïtiennes (MUDHA) et Anti-Slavery International ont dénoncé devant la Commission le fait qu’en certains endroits les coupeurs de canne continuaient à être payés avec des coupons (bons) et non en argent. Ces coupons n’étaient pas acceptés dans les commerces locaux; on ne pouvait les utiliser que dans les magasins propriétés de la compagnie. Les salaires étant très bas, les travailleurs et leurs familles pouvaient difficilement survivre ; leur rémunération est comparable à celle d’un journalier agricole ($42,00 pesos dominicains - environ $3,00 $U.S., par tonne de cannes coupées) le montant total dépend de l’habilité du coupeur.
341. On a indiqué à la Commission que le poids de la canne déterminait le montant à verser. Dans le passé, on a dénoncé le fait que les balances étaient tronquées et que les braceros n’obtenaient pas un poids juste. Pendant la visite de la CIDH en juin 1997, les braceros ont indiqué qu’il y avait des inspecteurs dominico-haïtiens pendant la pesée de la canne, ce qui leur donnait une certaine sécurité. Mais selon des ONGs, « récemment, lors de la dernière zafra, les autorités du CEA ont expulsé les inspecteurs dominico-haïtiens et les travailleurs privés de représentant n’avaient pas accès à la pesée de la canne ». De nouveau, des plaintes ont repris à l’effet qu’on ne leur créditait pas le total de la canne coupée. En l’absence d’inspecteurs, les braceros n’avaient plus de moyens efficaces pour résoudre leurs problèmes.

b) Conditions de vie
342. Durant son séjour, la CIDH, a visité quatre bateyes: San Joaquín, Culata et Mata los Indios près de Santo Domingo, et le batey No.5 dans la province de Barahona. La Commission a noté quelques progrès à l’arrivée du nouveau gouvernement, soit l’électrification de quelques bateyes, des plans d’amélioration de routes et l’établissement d’écoles. Il y en a peu actuellement.
343. En général, la Commission a vu les conditions précaires dans les bateyes, enclaves où vivent les travailleurs de la coupe de la canne à sucre. Les habitations ont beau être gratuites, elles sont inadéquates, n’ont ni électricité, ni système d’égout.  La promiscuité, le manque d’hygiène, d’eau potable, de latrines constituent de graves problèmes. Ces situations créent les conditions propices aux maladies comme la diarrhée, la malaria et la tuberculose.
344. La Commission a observé l’absence de dispensaires médicaux; plusieurs enfants avaient des symptômes de sous-alimentation et la majorité d’entre eux ne fréquentait pas à l’école pour aider leurs parents en gagnant une misérable pitance. Ceci créait un cycle tragique où pratiquement on ne pouvait échapper à un avenir de misère.
345. Au terme de sa visite, la Commission déclare qu’elle n’ignore pas les conditions de pauvreté qui affecte d’autres secteurs de la vie nationale. Cependant, la CIDH veut signaler spécialement la situation des travailleurs dans les bateyes, étant donné qu’ils travaillent pour l’État et qu’ils demeurent sur les propriétés de l’État. Par conséquent, les conditions de travail, d’habitation, de santé, d’éducation et de sécurité des travailleurs et de leurs familles sont la responsabilité directe de l’État.

c) Situation de la femme haïtienne dans les bateyes
346. La situation de la femme haïtienne dans les bateyes est encore plus vulnérable. Sa présence n’est pas reconnue ni dans les bateyes ni dans les champs de cannes. On est porté à croire que ce sont seulement les hommes qui travaillent comme braceros en R.D. Finalement, les haïtiennes ne possèdent ni le droit au logement, ni le droit aux services de santé.
347. Le travail de la femme haïtienne dans les champs de canne fait l’objet d’une discrimination. Environ 5% des coupeurs de cannes sont des femmes, à qui on paye la moitié de ce que reçoivent les hommes. Comme on l’a indiqué, le CEA ne tient pas de registre des femmes qui vivent dans les bateyes et la seule fonction qu’on leur reconnaît est celle de garantir la présence des braceros pour les prochaines zafras.
348. Ainsi, comme on ne reconnaît pas à la migrante haïtienne le fait de son existence, elle n’obtient ni papiers, ni bénéfices ou
prestations. Par conséquent, elle et ses enfants sont condamnés à une situation d’illégalité et d’exploitation permanente. La même situation se présente si son mari meurt ou s’il est déporté; la famille demeure complètement désemparée.
349. Selon MUDHA, quand elles habitent seules, les femmes haïtiennes sont victimes d’agressions sexuelles et n’ont personne vers qui se tourner, car même les chefs des bateyes, les gardes champêtres et les agents de migration abusent d’elles en les menaçant de les déporter ainsi que leur famille si elles n’accèdent pas à leurs demandes.

D) STATUT D’ILLÉGALITÉ PERMANENTE

350. Les autorités de migration ont signalé que près de 500 000 à 700 000 Haïtiens se retrouvent sur le territoire dominicain, et 5% d’entre eux possèdent des pièces d’identité. L’un des principaux problèmes de cette population est la situation d’irrégularité permanente dans laquelle elle vit. Un grand nombre d’Haïtiens vit en R.D. depuis 20 ou plus de 30 ans sans obtenir un statut légal. Plusieurs pays, après une longue période de résidence, octroient la citoyenneté ; d’autres reconnaissent, au moins, le statut de résident permanent; mais, ce n’est pas le cas pour les Haïtiens en R.D.
351. La majorité des Haïtiens sont entrés en R.D. sans avoir de papiers prouvant leur identité et de plus, ne sont pas enregistrés à l’Ambassade ou au Consulat haïtien. D’une part, on ne les reconnaît pas comme citoyens ou résidents dominicains et d’autre part, après plusieurs années ils ont perdu tout contact avec Haïti.
352. La situation d’illégalité se transmet aux enfants même quand ceux-ci sont nés en R.D. Les enfants n’ont pas de papiers tout comme leurs parents non plus n’en ont pas. Il est pratiquement impossible de les obtenir, soit parce que les fonctionnaires des hôpitaux ou des bureaux du registre civil refusent d’émettre un certificat de naissance ou parce que les autorités pertinentes refusent de les inscrire aux registre civil. L’argument que normalement donnent les fonctionnaires aux parents est que le seul document qu’ils présentent les identifie comme travailleurs temporaires les classifiant ainsi comme des étrangers en transit même s’ils vivent depuis plusieurs années en R.D.
353. On doit voir cette situation à la lumière de l’article 11 de la Constitution de la R.D. qui reconnaît le principe de jus soli stipulant : « Sont dominicains: Toutes les personnes nées en territoire de la R.D. à l’exception des enfants légitimes des étrangers résidant au pays en représentation diplomatique ou ceux qui sont en transit dans le pays ».
354. Des groupes de droits humains ont mentionné à la Commission l’existence d’une politique gouvernementale empêchant l’enregistrement des migrants haïtiens. Les autorités dominicaines imposent aux parents haïtiens l’obligation de présenter des documents qui ne sont pas expressément requis par la Loi 659 relative aux registres de l’État civil. Par exemple, les bureaux du Registre de l’État Civil, exigent des parents une pièce d’identité pour enregistrer leurs enfants, même lorsque la loi ne l’exige pas.
355. Les groupes des droits humains ont signalé que d’exiger des parents qu’ils présentent une carte d’identité ou d’élection rend impossible l’enregistrement de leurs enfants ; par ailleurs, cette requête est illégale étant donné que la loi ne l’exige pas.
356. Selon une dénonciation déposée à la Commission le 5 août 1997, un groupe de parents haïtiens des bateyes de la raffinerie Monte Llano et Amistad, accompagné par le MUDHA et le Comité des droits humains, s’est présenté devant l’Office de l’État Civil de Puerto Plata dans le but de demander l’inscription tardive de leurs enfants nés en R.D. Un officier a refusé leur demande, en répliquant à l’avocat de MUDHA que la Commission électorale centrale (JCE) et les « autorités supérieures » lui avaient donné instructions de n’émettre aucun certificat de déclaration tardive pour d’enfants de migrants haïtiens, nés en R.D200. Devant ce refus, la demande de « déclaration tardive » a été présentée devant la JEC, le 2 septembre 1997, sans qu’aucune réponse n’ait été donnée jusqu’à maintenant.
357. Le cas de Tesius Pierre: Le 5 août 1997, Tesius Pierre a tenté d’enregistrer ses quatre jeunes enfants. Il a présenté àl’Office de l’État Civil les carnets d’identité que le Conseil d’État du Sucre (CEA) lui avait remis ainsi que la déclaration ou le certificat de l’hôpital faisant foi de la naissance de ses enfants en R.D. L’officier a refusé d’enregistrer les naissances, prétextant que le demandeur et sa femme n’étaient pas en situation légale. L’officier n’a pas voulu recevoir les carnets du CEA comme preuves d’identité pour les besoins du registre et a mentionné aux parents qu’ils devaient avoir des cartes dominicaines.
358. Le 11 septembre 1997, MUDHA et la CDDH ont demandé au Procureur Fiscal de la Cour de Justice de Première Instance du District Judiciaire de la Province de Monte Plata d’autoriser la « déclaration tardive » des 29 enfants de la communauté du Batey Verde Sábana Grande de Boya :
 

Nom de l’enfant
Date de naissance
Nom de la mère
Rosa
05 - 11 - 88
Liga Pierre
Kucho
18 - 12 - 83 
Liga Pierre
Germania
19 - 12 - 78 
Liga Pierre
Esteban
08 - 09 - 94
Tiramen Bosico Koffi
Violeta 
13 - 03 - 85
Tiramen Bosico Koffi
Deysy
21 - 05 - 83
Tiramen Bosico Koffi
Vicente
23 - 06 - 96
Virgilia Estime
Dioni
09 - 07 - 93
Virgilia Estime
Maribell
16 - 01 - 91
Virgilia Estime
Johathan
01 - 07 - 89
Maria Peña
Manolo
14 - 02 - 83 
Eneroliza Cruz
Carlos Luis
15 - 11 - 80
Eneroliza Cruz
Adry
01 - 11 - 96
Francia Eduardo Rene
José Enrique
27 - 05 - 95
Francia Eduardo Rene
Jimmy Carlos
13 - 04 - 89
Matilde Severe Guillén
Jean Carlos
14 - 03 - 88 
Matilde Severa Guillén
Dilcia
15 - 04 - 96
Leonida Oliver Jean
Jonathan
07 - 04 - 94
Modesta Valdez
Jorge
01 - 10 - 80
Modesta Valdez
Yense
16 - 09 - 96
Bonifacia de J.Hernández

359. Dix mois plus tard, le Procureur fiscal rendait sa décision: « Refus de la présente demande de déclaration tardive de naissance, n’étant pas appuyée par les documents et la procédure exigés dans ce cas ».
360. Pendant sa visite en R.D. la Commission a été informée par les autorités d’un avant-projet de loi à l’étude sur la Migration. Telle que mentionné précédemment, la Constitution dominicaine stipule que toutes les personnes nées en territoire dominicain sont dominicaines, à l’exception de celles qui sont en transit. L’avant-projet propose que le statut des sans papiers, des migrants illégaux soit celui de « personnes en transit », indépendamment de la durée de résidence en R.D. Cela pourrait signifier que les enfants d’Haïtiens nés en R.D. depuis des décennies n’auraient pas la possibilité de devenir citoyens dominicains. Selon la Commission, le concept de « transit » doit refléter la réalité ; de sorte qu’on viole le droit quand on lui donne une interprétation restrictive et formelle qui ne correspond pas à la réalité.
361. Dans ses observations au Projet de Rapport de la CIDH, le gouvernement dominicain a insisté pour dire que la situation des Haïtiens dans le pays est véritablement inquiétante, pour cette raison une alliance stratégique s’est créée entre la R.D. et Haïti, dans le but de développer des projets communs destinés à améliorer la situation économique des ressortissants haïtiens.
362. Dans la même rapport, le gouvernement indique que, dans le but de régulariser l’entrée d’étrangers, un projet de loi à été élaboré pour modifier la Loi sur la Migration de 1939, laquelle sera prochainement soumise au Congrès National. Dans le même contexte le gouvernement informe qu’une Commission mixte bilatérale haïtiano-dominicaine formée d’autorités haïtiennes et dominicaines étudie la situation des sans-papiers.

E) CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
 

363. La Commission observe qu’en R.D. il y a environ 500 000 travailleurs haïtiens sans-papiers. Il s’agit souvent de gens qui y sont demeurés pendant 20 ou 40 ans et nombreux sont ceux nés en territoire dominicain. La majorité fait face à une situation d’illégalité permanente qu’ils transmettent à leurs enfants, lesquels ne peuvent obtenir la nationalité dominicaine car selon l’interprétation restrictive que les autorités dominicaines font de l’Article 11 de la Constitution, ils sont considérés enfants « d’étrangers en transit ». On ne peut pas considérer en transit des personnes qui sont demeurées pendant plusieurs années dans un pays où elles ont développé des liens innombrables. En conséquence, plusieurs enfants d’origine haïtienne se voient refuser des droits fondamentaux,tels la nationalité du pays où ils sont nés, l’accès à la santé et à l’éducation.
364. La Commission demande à l’État dominicain d’adopter des mesures pour améliorer et régulariser la situation des travailleurs haïtiens sans papiers, par le moyen de la remise de carnet de travail et de résidence; et de légaliser la situation des enfants, dans le cas où cela s’applique, selon le principe de jus soli conformément à l’Article 11 de la Constitution.
365. La Commission réitère sa préoccupation pour les conditions précaires et insalubres dans lesquelles vivent les travailleurs haïtiens et leurs familles, et recommande que l’État prenne des mesures pour garantir les droits économiques, sociaux et culturels de ces travailleurs sans aucune discriminiation. En particulier, la Commission signale la nécessité d’améliorer les conditions de vie des gens dans les bateyes et qu’il leur soit donné accès aux infrastructures de base : eau potable, électricité, services médicaux et programmes d’éducation.
366. La Commission manifeste aussi sa préoccupation pour les expulsions massives des travailleurs haïtiens. Ces expulsions collectives se font en violation flagrante du droit international, et affecte la conscience de toute l’humanité. Dans les cas individuels qui la requière, l’expulsion doit s’effectuer selon les mesures donnant un moyen de recours aux déportés, conformément aux règles minimales de justice, évitant ainsi les équivoques et les abus.
 

Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH)
organe de l’Organisation des Etats américains (OEA)
octobre 1999