TOUT MOUN SE MOUN *
Adresse aux silencieux et silencieuses en marche, aux badauds et badaudes qui regardent et à toutmoun ki la ka pasé
 

L’esclavage est un crime contre l’humanité.
Qu’est-ce que ça veut dire ?
Un homme réduit en esclavage n’est plus un homme. L’esclave est un homme nié, une femme niée.
En déniant à l’esclave son humanité, le maître se déshumanise lui aussi. Pour que le maître redevienne un homme, il faut que l’esclave le redevienne.
Seul l’esclave qui brise ses chaînes peut libérer le maître.
Les Nègres n’ont pas plus le monopole de la souffrance que les juifs, les " Indiens " ou les Tibétains. Dans cette sous-France que sont les dernières colonies françaises, ils vivent cependant une forme particulière d’oppression et d’esclavage. Ils sont certes reconnus comme hommes, mais le sont-ils comme citoyens ? Ce n’est pas si sûr. L’esclavage a bien sûr été enfin définitivement aboli en 1848, mais cette abolition n’était qu’une étape dans l’émancipation. L’étape suivante – l’indépendance des colonies – n’est toujours pas atteinte. Le sera-t-elle un jour ? Sans aucun doute. Est-ce fou que de le croire ? Non, c’est tout simplement du bon sens. Jamais le maître – la République française – ne pourra être l’espace rêvé de liberté, d’égalité et de fraternité tant que des Nègres , des Indiens, des Polynésiens, Mélanésiens ou Kanaks seront assujettis, DOMinés, aTOMisés.
La liberté jamais n’est accordée ou octroyée. Elle est arrachée par ceux qui ne l’ont pas. Et à l’inverse de la pile Wonder, elle ne s’use que si l’on ne s’en sert pas. Nous qui savons que l’esclavage est un crime contre l’humanité, pouvons-nous nous contenter de demander sa " reconnaissance " ? L’esclavage aboli ne se poursuit-il pas insidieusement sous des formes atténuées mais tout aussi efficaces de DOMination ?
Ne faut-il pas que cette domination soit d’abord abolie pour que ce crime soit reconnu comme tel par tous ? Ou alors, est-ce en luttant pour cette reconnaissance que nous mettrons fin à la DOMination ?
L’abolition de 1848 décrétée par la IIème République n’a fait qu’entériner une réalité : les esclaves avaient déjà reconquis leur liberté dans les faits quand Schœlcher a frappé. N’en sera-t-il pas de même avec la reconnaissance par l’Etat français de l’esclavage comme crime contre l’humanité ? Et pourquoi d’ailleurs limiter l’exigence à l’Etat français ? Les monarchies danoise, suédoise, espagnole, hollandaise ou anglaise ne sont-elles pas les héritières directes de régimes esclavagistes ? Et que dire de la démocratie étasunienne, dite américaine ?
Est-il en outre pensable de dissocier une exigence – la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité – de l’autre : la reconnaissance du génocide des natifs des Amériques et de la Caraïbe – les Indiens, comme on dit  ?
Nous pensons que non.

Pour tous
En brisant lui-même ses chaînes, l’esclave impose au maître de reconnaître son humanité, qu’il lui restitue par la même occasion. Il se bat pour tous, pas pour devenir maître à son tour et transformer l’autre en esclave. La devise des esclaves révoltés sous la conduite du prince albanais captif Spartacus était : erga omnes = pour tous. Celle de nos frères du Chiapas est : Para todos, todo, Para nosotros, nada = Tout pour tous, rien pour nous-mêmes !
Fonctionnarisés, hospitalisés, postés, télécouillonnés, enfliqués, rtapisés, gardiendesquartelés, muséifiés, enzoukés, rmisés, héroïnisés, crackifiés, décentralisés et médiatropicalisés, – bref asi bourik, asi milé **, les Nèg *** reconquerront leur pleine humanité, leur citoyenneté lorsqu’ils retrouveront la trace des ancêtres.
Ces ancêtres ne se sont pas seulement battus sur leurs mornes insulaires pour une parcelle de liberté, mais ils ont financé la révolution grecque, aidé Bolivar en hommes et en armes à libérer la future Colombie et, plus généralement, ont été partie prenante de toutes les luttes de libération de leur temps. Ils n’avaient pas d’œillères ! Ils ne demandaient rien ! Ils faisaient.

Nous marchons avec vous aujourd’hui. Marcherez-vous avec nous demain ?

Chimen-chimen, dèyè goumé tini goumé.
Caminante, no hay camino / Caminando, se hace el camino
Toi qui chemines, il n’y a pas de chemin/ C’est en cheminant que tu le traces…


 
 
Alliance zapatiste de libération sociale
23 mai 1998
Basta ! n° 4/98


Notes à usage des ignorants de la langue créole :

*  Ça se prononce : toute moune sé moune et ça veut dire : tous les hommes sont libres et égaux .
** Jeu de mots sur assimilé (sur la bourrique, sur le mulet)
*** En créole, Nèg signifie homme.
 

Ce tract a été diffusé à la marche du 23 mai avec, au verso le Manifeste zapatiste en créole de la Caraïbe - c'était l'unique texte en créole diffusé ce jour-là...